Le projet Madian-Salagnac naît en 1973 sous l’impulsion du Père Robert Ryo, dans la presqu’île sud d’Haïti, avec le soutien d’organisations chrétiennes de coopération (Misereor, Secours Catholique, CEBEMO). Inspiré par la pensée du Père Lebret, de Paolo Freire et de la Jeunesse Agricole Chrétienne, il se veut un programme de développement intégré, articulant santé, éducation, formation agricole et promotion féminine.

Le premier centre, Madian, situé en plaine, forme des « animateurs ruraux polyvalents » chargés de diffuser des techniques agricoles. Mais cette approche descendante montre vite ses limites : les jeunes formés quittent le milieu rural et la transmission aux paysans ne s’opère pas. C’est ce constat qui conduit à la création, en 1976, du Centre de Salagnac par une équipe d’agronomes dont Michel Brochet, à 900 mètres d’altitude, sur le plateau des Rochelois, un lieu propice à la formation agricole, à la recherche et à la rencontre directe avec les agriculteurs.

Dès sa fondation, Salagnac devient un laboratoire d’expérimentation pédagogique. L’équipe d’agronomes, influencée par les méthodes d’éducation populaire, met en place les stages “personnages”, destinés non plus à des intermédiaires, mais à des paysans eux-mêmes, appelés en créole sitwayen ou personaj. Ces formations, fondées sur le triptyque « voir – juger – agir », partent de l’observation des pratiques locales et de leur analyse collective. Les paysans deviennent acteurs de leur propre formation, capables de réfléchir sur leurs stratégies agricoles et d’expérimenter de nouvelles associations de cultures.

Stage personnage à Kenscoff (Source Michel Brochet)

Dans les années 1980, Salagnac s’affirme aussi comme un centre de formation universitaire, accueillant chaque année les étudiants de la Faculté d’Agronomie et de Médecine Vétérinaire (FAMV). Ces stages d’immersion leur permettent de confronter les savoirs académiques à la réalité paysanne et de pratiquer une recherche ancrée dans le terrain. Cette collaboration durable entre agriculteurs, étudiants et chercheurs donne naissance à de nombreuses publications et à une véritable culture professionnelle du développement rural fondée sur la rigueur scientifique et le respect des savoirs empiriques.

À partir de 1980, un programme de petite hydraulique de montagne transforme la vie sur le plateau : construction participative de 200 citernes familiales et bassins collectifs, libérant les femmes des corvées d’eau, permettant le développement du maraîchage et stimulant de nouvelles solidarités locales. Ces réalisations concrètes traduisent l’esprit de Salagnac : agir en lien étroit avec les paysans, ajuster les choix techniques à leurs réalités et renforcer leur autonomie.

Enfin, le Centre devient un lieu de dialogue et de pensée critique, accueillant chercheurs, agronomes, cinéastes comme Gerald Belkin, dont les films ont donné la parole aux paysans haïtiens.

L’esprit du Centre de Salagnac réside dans cette alliance unique entre pragmatisme et humanisme : comprendre avant d’agir, former en observant, et reconnaître la rationalité et la créativité des agriculteurs haïtiens. Héritier de cette aventure, le Centre demeure aujourd’hui le symbole d’un développement fondé sur l’écoute, la coopération et la foi dans l’intelligence du terrain.

Une version plus détaillée de l'histoire du centre de Salagnac est consultable via le lien suivant :

https://www.centredesalagnac.org/ressource/le-projet-de-madian-salagnac/ ‎